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« Renoncer à maîtriser la langue, c’est renoncer à penser »

Tribune au Monde, 4 septembre 2018, par Romain Vignest, président de l’APLettres.

http://aplettres.org/pages.php?p=article&art=107

Ceux qui connaissent l’indigence des programmes de français outre Quiévrain n’ont pas dû être étonnés que de là vienne aussi le vœu de ne plus accorder le participe passé : abandonner la grammaire après la dissertation ou la littérature, c’est dans l’ordre des choses. Vouloir ériger la démission en modèle linguistique et intellectuel, c’est en revanche d’une outrecuidance dont on espère que les Francophones, natifs, seconds ou qui le sont devenus par amour du français et de sa littérature, apprécieront à sa juste valeur. Elle ne devrait pas non plus laisser indifférents tous ceux qui essaient d’élever, d’instituer la jeunesse et qu’on invite aujourd’hui au renoncement et à la facilité.

Les pourfendeurs de l’accord du participe passé, c’est leur principal argument, lui reprochent son excessive complexité, voire son caractère illogique. On pourrait se demander pourquoi ce qui, pendant plusieurs siècles, n’a pas paru compliqué, ou dont la complexité n’a pas paru rédhibitoire, le serait aujourd’hui devenu. Nos enfants sont-ils devenus plus sots ? le cerveau humain en général, francophone en particulier a-t-il dégénéré ? Si une règle est moins bien appliquée, n’est-ce pas plutôt parce qu’elle est moins bien comprise, parce qu’elle est moins bien enseignée ? Faut-il mettre la langue en conformité avec les errements d’une pédagogie qui ne l’enseigne plus ? Qu’on prenne la mesure de cette effarant assimilation de la simplicité à une vertu et de la complexité à un vice : il n’est pas meilleure définition d’un processus de démission intellectuelle, car penser, raisonner, abstraire, analyser, synthétiser, articuler des idées est par nature compliqué. C’est avec la langue qu’on pense et renoncer à maîtriser la langue, ou la simplifier pour qu’elle soit plus facile à maîtriser, c’est renoncer à penser. Et quand bien même – ce qui reste à prouver et à quoi je ne crois nullement – la tendance des jeunes gens serait à la paresse intellectuelle et l’air du temps au simplisme, est-il du rôle des professeurs et des savants de complaire à cette tendance ? Il convient au contraire d’y résister et de préserver en la langue l’instrument d’une pensée fine et rigoureuse. Quant à invoquer la complexité de la langue comme discriminant social, il s’agit là, non seulement d’une démission hypocrite, comme celle d’un médecin qui briserait son thermomètre, mais d’une condescendance infâme.

De quoi parle-t-on d’ailleurs ? L’accord du participe passé en français est on ne peut plus logique et simple à appliquer pour quiconque est de bonne foi et doué de raison. Le participe passé s’accorde avec le nom, le groupe nominal ou le pronom dont il peut être l’épithète. On écrit « la jolie voiture que mon père m’a offerte », parce qu’« offerte » peut qualifier « voiture » au même titre que « jolie » (qu’on nous proposera bientôt de ne plus accorder non plus sans doute) : « une voiture jolie et offerte (par mon père). » Il en est de même avec les verbes pronominaux : «vles vacances que je me suis payées » (les vacances payées). On le voit, ce n’est pas aux mystères d’Éleusis qu’on veut renoncer, mais à un effort de logique, à un effort de raisonnement. À vrai dire, la seule règle illogique est justement une règle de simplification : l’absence d’accord, que n’observait pas encore Ronsard (« la rose (…) avait déclose sa robe »), lorsque le complément d’objet direct est placé après le verbe.

Ceux qui prennent l’affaire à la légère devraient y réfléchir à deux fois, car ce n’est pas à une futilité orthographique, à un accent circonflexe ou à une double consonne qu’on s’attaque, c’est au logiciel même du français : la grammaire. On nous dira, on nous répète qu’une langue vit et évolue. Certes, mais l’évolution d’un organisme vivant procède de sa structure intime, se développe et s’enrichit sans changer d’ADN ; à l’inverse, le cancer est lui aussi une forme d’évolution… On voit mal pourquoi d’ailleurs nos réformateurs s’arrêteraient en si bon chemin : pourquoi ne pas adopter une graphie commune pour le participe passé et l’infinitif des verbes du premier groupe ? Pourquoi ne pas laisser libre le choix du subjonctif ou de l’indicatif ? Pourquoi même ne pas abandonner toute forme d’accords ? D’aucuns ont bien décrété la mort du passé simple, sans s’aviser qu’en le remplaçant par le passé composé, qui, comme le present perfect en anglais, exprime les actions dont l’effet est toujours sensible dans le présent, on perdait l’une des finesses de notre langue, et de ce qui dans notre langue se pense et s’écrit.

Une langue n’est pas qu’un outil pour la communication basique du quotidien ou celle de l’échange économique. Une langue permet de penser, par sa syntaxe et son lexique, parce qu’aussi elle est l’oeuvre des siècles, façonnée par tous les écrivains qui l’ont illustrée. Ni la démagogie, ni la compétitivité sur le marché de l’enseignement du français à l’étranger ne sauraient justifier qu’on la mutile. Nulle langue n’a autant pâti du globish que l’anglais lui-même : évitons ce sort au français.

Compte-rendu de l’audience d’Antiquité-Avenir au Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, le vendredi 1er septembre 2017

Rencontre avec Anne-Sophie Barthez conseillère auprès de madame Vidal, Ministre de l’ESRI.

La rencontre débute à 16H 05.
Jacques Bouineau, Cecilia Suzzoni et Antonio Gonzales représentent Antiquité Avenir.

Jacques Bouineau présente Antiquité Avenir en insistant sur la notion de réseau, qui réunit à ce jour 32 associations. L’intérêt commun qui anime les membres d’Antiquité-Avenir est celui de l’Antiquité comme ensemble culturel, mais aussi comme vecteur de réflexion structurelle sur sa place dans notre culture et sur son rôle pour la compréhension du passé, du présent et des enjeux à venir, à l’échelle euro-méditerranéenne, mais pas seulement.
Le souhait exprimé par Jacques Bouineau est de voir le MESRI jouer un rôle actif lors des EGA du 9 juin 2018. Anne-Sophie Barthez a souligné son intérêt et mesuré la nécessité de participer à une telle rencontre.
Elle a mesuré d’emblée le rôle que pouvait jouer AA dans la réflexion sur l’avenir des formations de premier cycle universitaire. Le Ministère poursuit, en ce moment, une discussion avec 26 organisations (syndicales, corporatives…) sur l’échec en premier cycle et les moyens d’y remédier. Anne-Sophie Barthez nous a précisé qu’il s’agissait là sans doute du chantier central que s’était fixé le Ministre.
Nous avons insisté sur la nécessité d’associer l’ensemble des acteurs liés à la culture classique en rappelant que la place des formations en histoire, langues, droit, arts, archéologie et autres disciplines liées à l’Antiquité était un moyen efficace pour fonder, consolider ou ouvrir les bases de la culture des étudiants de premier cycle universitaire. Nous avons tenu à insister sur la nécessité d’accorder une place centrale à ce pilier de notre culture.
Nous avons également mis en évidence le rôle que nous pourrions jouer dans la relance d’une réflexion sur l’Europe et sur les rapports euro-méditerranéens.
Nous avons enfin exprimé le souhait de créer une fondation AA. Anne-Sophie Barthez nous a demandé pourquoi. Jacques Bouineau a tenu à préciser le rôle moteur qu’une telle institution peut jouer pour la visibilité de l’intérêt porté à l’Antiquité, et pour obtenir une labellisation de patrimoine culturel auprès de l’UNESCO pour la Méditerranée antique en tant qu’entité globale.
Nous laissons en partant le document contenant les grandes lignes de présentation que nous avions arrêtées ensemble.

La rencontre s’achève à 16h 55

Antiquité-Avenir s’adresse au président de la République et au gouvernement

A la suite de l’élection présidentielle et de la formation du gouvernement au mois de mai 2017, Antiquité-Avenir a adressé au président de la République et aux ministres du gouvernement les plus concernés un dossier de recommandations et de réflexion intitulé “Pour une Antiquité de l’émancipation et du dialogue interculturel. L’Antiquité pour l’avenir de notre cohésion nationale”.

En voici une version au format pdf : dossier à l’attention du président de la République et du gouvernement

 

Hommage à Yves Bonnefoy

Yves Bonnefoy

In memoriam

La cause des Humanités perd avec Yves Bonnefoy, qui nous a quittés le 1er juillet dernier, un de ses soutiens les plus fidèles et les plus convaincus. En témoignent ses interventions et ses conférences généreusement dispensées auprès des jeunes publics des lycées et des universités. A son habitude, c’est avec empressement et une grande gentillesse qu’il avait accepté de faire partie du Comité d’Honneur d’Antiquité-Avenir ; si sa grande fatigue ne lui permettait plus les derniers temps de se déplacer pour honorer de sa présence telle ou telle manifestation, il n’a eu de cesse de rappeler combien la santé de notre société et celle de l’Europe, malade de son déficit culturel, avaient plus que jamais besoin de ces deux langues, le latin et le grec, « deux des voix primordiales dans la grande réclamation que la parole a fait retentir sur la terre »[1] .

Yves Bonnefoy est revenu souvent sur le rôle joué par le latin dans sa vocation et son expérience de la poésie, dont on sait à quel point elle est chez lui arrimée au souci d’une parole au plus près, au plus juste de la présence. Son commentaire de la quatrième Bucolique de Virgile, ce premier grand texte de la tradition pastorale, dit cette découverte, avec « la touffue et résonante syntaxe latine », d’une lumière à même de « transgresser dans le mot ce qui fait notion de la chose » ; cette lumière «montait dans ce poème, en cela augural, sacré, qui était à mes yeux la terre même ». Mais plus précieux encore, parce que riche de toutes les heureuses tensions qui nourriront son itinéraire poétique, le récit qu’il fait dans L’Arrière- pays[2] de son apprentissage du latin en classe de sixième, son émerveillement et sa fascination devant cette langue à même d’aller plus intimement aux relations signifiantes – impressions converties évidemment par l’enfant en images – et que la connaissance des questions de lieu, avec son extravagante richesse, allait porter à l’extase… « J’eus l’espoir que le latin, langue plus avertie, algèbre de la parole en exil, me permettrait de comprendre pourquoi je me sentais égaré et où il fallait que je cherche ». Et le eo Romam – « Quelle transitivité magnifique, quelle adhérence substantielle du mouvement à son but ! Quelle preuve de la puissance de la parole ! » – achève de donner à cette découverte, non sans l’humour tendre qui accompagne ce souvenir d’enfance, la valeur augurale d’une promesse. On retrouve les traces de cette révélation dans l’évocation d’un conte lu dans l’enfance, les Sables rouges qui met en scène le périple d’un jeune archéologue, en quête d’une Rome qui se dérobe, sur les pas, comme le héros de la nouvelle de Jensen, d’une mystérieuse Gradiva. La langue latine accompagne ainsi dans la poésie de Bonnefoy ces êtres, peregrinantes in noctem, qui s’acheminent dans le darkside de l’existence, la selva oscura ; comme pour le Klossowski du Bain de Diane, elle sera « langue à la fois originelle et seconde par quoi l’invention littéraire se détachera mot pour mot de la parole de tous les jours ».

Certes, cet apprentissage, à la lettre bouleversant,  sur lequel il revient dans L’écharpe rouge, émeut et séduit parce qu’il s’agit de celui d’un grand poète, comme tous les poètes gardien du mémorable, qui trouve les mots pour dire sa fascination pour l’humus mystérieux d’une langue dont on sait qu’elle aura été et qu’elle reste pour bien des écrivains et poètes contemporains, « une affaire importante ». Mais nous importe au moins autant le souci de Bonnefoy de réconcilier Le latin, la démocratie, la poésie[3], de dire à quel point il était important de subordonner l’apprentissage des langues anciennes aux intérêts d’aujourd’hui ;  et donc son invitation à les « enseigner autrement ». Sur ce point Yves Bonnefoy pourrait être rassuré, lui qui avouait ingénument « Je n’étais pas toujours heureux en classe de latin et pour de bonnes raisons »… Voilà belle lurette que cet apprentissage s’est débarrassé des pesanteurs formelles héritées de l’École de la tradition latine, et que l’on ne songe plus à punir l’enfant qui n’a pas su distinguer dans un récit de bataille le bouclier long, scutum, du bouclier rond : clipeus … Mais son conseil reste précieux ne plus faire, qu’il s’agisse du latin ou du grec, « de l’apprentissage d’arides détails un passage obligé » ; tout comme celui, si l’on veut sensibiliser de jeunes esprits aux « superbes vocables fondamentaux des langues classiques », de mettre à leur disposition de beaux textes, non seulement ces textes « qu’éclaire spécifiquement la recherche contemporaine » sous l’égide des Sciences humaines, mais aussi les textes de ces « grands poètes latins , poètes de l’affection pour le lieu terrestre » : la grande leçon des Bucoliques, ou des Géorgiques de Virgile, celle des Métamorphoses d’Ovide, de ces œuvres susceptibles de nourrir la vie des modernes que nous sommes, dont Montaigne disait qu’elles sont« paroles ains de vent mais de chair et d’os »[4]. Reste l’essentiel, ce viatique que sont les langues anciennes pour qui veut s’aventurer dans le langage en citoyen responsable : « Pas de société authentiquement démocratique », nous dit Bonnefoy, qui ne soit à même de déjouer dogmes, syntagmes figés, horizontalité ossifiée du langage par un cheminement averti dans l’histoire de la langue,  « sa profondeur et ses dimensions multiples », un voyage dans les mots qui rend à l’être parlant sa pleine liberté, en même temps qu’au référent usé, désodorisé, « son autorité perdue ».

Yves Bonnefoy qui a traduit les grandes œuvres de la tradition européenne, s’inquiétait aussi d’une crise de la communication poétique, résultat d’une production critique dont les dérives sémiologiques opacifiantes ont lourdement grevé ce besoin immédiat du sens dont les jeunes générations en particulier ont besoin. Il rappelait combien les grandes œuvres de la poésie antique, Homère ou Hésiode, Virgile, Ovide, œuvres tout à la fois d’images et de présence, témoignaient d’une volonté de communiquer avec le lecteur « au plus haut de l’invention collective ». Dans une belle conférence, La poésie et l’Université, il jugeait urgent de ranimer « le commerce du poète et du professeur, ancien dans notre civilisation de l’occident »[5] . La terrible crise que traverse l’École, et le malheureux sort fait aux langues anciennes lui déchiraient le cœur : de leur effacement, disait-il, comme Michel Deguy, « nous resterions inconsolables ». Ces deux langues de haute culture, Bonnefoy rêvait pour elles d’une nouvelle rencontre : c’est le sens de la conclusion au parallèle qu’il propose entre l’Italie et la Grèce , après avoir exposé ce qui fait à ses yeux la spécificité de chacune de ces langues : « l’une – le grec – disant la forme, sa capacité organisatrice, sa richesse morale – le nombre n’enseigne-t-il pas la mesure – autant que sa promesse métaphysique ; et l’autre – le latin – sachant le contenu d’images irréductibles, de désirs, de passions étranges, d’extases aussi que la chair et le sang ne cessent de faire naître. La forme qui rassemble ; et ce qui assaille la forme ».

Faisons nôtre, avec le souci que se fasse toujours plus fécond et confiant le dialogue avec les magnifiques civilisations du pourtour méditerranéen, et avec la conscience de ce que cette promesse porte d’utopie active en ces jours de « ciel plombé » la belle clausule de sa réflexion :

« J’imagine un nouvel art « grec » de la proportion, une nouvelle écriture « italienne » du foisonnement des images, renaissant ici ou là dans le monde parmi nos remuements de matière brute et de signes vides, et avec vocation cette fois de se rencontrer, de s’unir. (…) . Comme dirait Plotin, ce Grec d’Italie : c’est alors que nous n’avancerions plus « sur une terre étrangère » »[6].

Cécilia Suzzoni (vice-présidente d’Antiquité-Avenir et présidente d’honneur d’ALLE, Association le Latin dans les Littératures Européennes)

[1] Quelques livres qui ont compté, in Entretiens sur la poésie, Paris, Mercure de France, 1990, p. 339.

[2] L’Arrière-pays, Paris, Poésie/Gallimard, 2003, pour les citations qui suivent, p.107-114.

[3] Le latin, la démocratie, la poésie, Postface de Sans le latin …, Mille et une nuits, Fayard, Paris, 2012.

[4] Montaigne, Essais, Pierre Villey dir., Paris, PUF, 2004, Livre III, chapitre V, « Sur des vers de Virgile », p.873.

[5] Entretiens sur la poésie, op.cit., p.204.

[6] L’Italie et la Grèce, in Entretiens sur la poésie, op.cit., p.349-351.

De la nécessité de relire Solon et de le méditer

                  Personne ne voulait y croire. Il n’y aurait pas de Brexit, parce qu’il ne pouvait pas y en avoir. Même si la procédure était prévue, nul ne pensait qu’on dût jamais la mettre en œuvre. Pourtant, comme des hippocampes dans notre cerveau, se tordaient des souvenirs qui se pliaient, s’élançaient, happaient notre conscience. Nous ne voulions rien envisager de contraire à ce que notre volonté dévorait. Tout discours restrictif, interrogatif ou inquiet était stigmatisé, étiqueté, rejeté. Les cris des Grecs s’étaient engloutis dans les spasmes de la condamnation.

         Passion contre passion. Mythes et mythologies fracassées. Où la raison ?

         Triomphe de l’hybris. Cet excès que Solon identifiait comme la cause des désordres humains.

         Chaque camp enflait ses arguments. On ne voyait que chaos, apocalypse et effondrements. Tous juraient qu’à force de ne rien faire le pire était déjà là, les autres promettaient que le pire était à venir, mais qu’il était certain. Nulle analyse, nulle projection, nulle pondération. Ou si peu. On effrayait non pour convaincre, mais pour détourner du pire absolu : l’opinion contraire à la sienne.

         Comme à l’acmé de la pensée magique, l’incantation tenait lieu d’argumentaire et ronflait déjà la forge des enfers, assimilés par tous à tous, du moment qu’il ne s’agissait pas de soi. Délire du rejet.

                  Le choc a eu lieu. Le temps danse d’un pied sur l’autre, hésite, reprend son souffle, s’étire. Rien à voir avec l’explosion nucléaire. Mais tout est lézardé. Il suffit d’un murmure pour que jaillissent les décombres.

         Décidément tous sont responsables : les uns de ne rien comprendre, les autres de ne pas comprendre ; chacun de n’être pas de l’avis de celui qui pense avoir raison, c’est-à-dire tous les autres qui ne sont pas moi. On rêve de changer de peuple, de rester entre soi, de ne tenir aucun compte, ou le moins possible de la boue qui a déferlé. Laquelle ?

         Hybris, toujours. Et si on passait à une recherche de solution ? Si, au lieu de vivre dans l’hybris que tous pratiquent sans savoir la nommer, comme M. Jourdain la prose, on tentait le remède de Solon : l’eunomia ?

         Nul ne gagnera quoi que ce soit, et surtout pas la partie, à supprimer les joueurs qui lui déplaisent. Tous en revanche auraient tout à gagner à rejeter la passion, cette hybris qui nous gangrène tous, pour que s’exprime l’arbitre de nos consciences et de nos vies : la tolérance et le respect des autres et de soi.

         Il est d’une banalité affligeante de répéter que la vie n’est faite que de diversités, de divergences et de contradictions. C’est ainsi. Nul ne détient de vérité exclusive, mais tous ont vocation à vivre dès lors qu’ils sont sur terre. Dans le respect d’autrui et d’eux-mêmes. Donc dans l’équilibre – l’eunomia -, qui seul permettra d’entrevoir une issue à la crise et au loin, si proches, les falaises d’Albion.

Jacques Bouineau, président d’Antiquité-Avenir